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Ce n’est pas ce que lón pourrait croire

deux visions (anti)domestiques

 

          La première acception de l’art nest autre que l’habilité pour faire quelque chose. A partir de là, les définitions se sont compliquées de manière extraordinaire. C’est précisément pour cela qu’il n’est pas superflu de rappeler cette origine qui induit le caractère pratique opérationnel et constructif de ce que nous dénommons oeuvres (réalisations) d’art. De l’expérimental (pratique) à l’espérience (vécu) le saut est aussi petit que significatif. Nous avons tous entendu –et accepté dans une certaine mesure- que tout roman (ou toute oeuvre d’art en general) est essentiellement autobiographique. Sans doute parce que l’identification entre l’art et la vie soutient dans tous les sens la relation entre l’oeuvre et l’artiste.

         Durant le vingtième siècle se sont succédés les mouvements de l’avant-garde qui prétendaient, entre autres coses, rapprocher l’art et la société en transformant la réalité environnante. La ville, le mouvement, l’industrialisation, les moyens de communication de masse... rien n’échappa au regard aiguisé de l’artiste qui amplifia alors extraordinairement ses référents thématiques et son champ d’action.

         Cependant, par un paradoxe empoisonné, cet art d’avant-garde qui prend racine consciemment, voire de façon militante même dans la réalité proche finit par se matérialiser par une série d’oeuvres qui ne peuvent à peine éter comprises que par un groupe réduit d’initiés. L’élitisme et la prétention finissent de transmuter de manière antagonique les origines sociales de ses divagations révolutionnaires. Ainsi surgissent les concepts consacrés de haute et basse culture qui soulignent la scission radicale de certaines bases qui faisaient de l’interpénétration de l’art et la vie une grande partie de son identité.

         A la fin des années soixante et au debut des années soixante-dix, le pop-art (acronyme d’art populaire), d’abord  anglais et américain, international par la suite,  proposa à nouveau et avec virulence ce rapprochement de l’artistique avec la partie précisément la moins esthétique des moyens de communication de masse : la publicité et les produits de consommation courante tels que des conserves, des boissons, des lessives... Outre les temes abordés, les artistes adoptent des stratégies clairement publicitaires qui induisent les aspects communicatifs dune oeuvre d’art. La narration, la figuration, la présentation directe du produit, l’accessibilité... bouleversent un panorama artistique cryptique, accessible seulement pour une élite déterminée.

         Ces annotations schématiques servent à introduire le travail plastique de Jean-Guy Lattraye, ses oeuvres ne sont pas si pop qu’elles en ont l’air à première vue (c’est ce que je croyais au début). Bien qu’elles gardent certaines similitudes formelles, leur positionnement esthétique et éthique se situe symétriquement aux antipodes de l’univers pop. Ce n’est pas ce que l’on pourrait croire.

         Cette dialectique “high & low” (haute et basse culture) dans laquelle se résume le pop-art se reconvertit par un singulier processus de recyclage conceptuel en une autre dialectique plus structurelle et complexe : culture et nature. Jean-Guy, approfondit cette relation compliquée entre l’homme et la nature qui oscille du respect et de l’intégration jusqu’à la transformation et la destruction pure et dure.

         Warhol elimina, comme tant d’autres artistes depuis, toute trace de travail manuel et d’individualité dans ses oeuvres. L’auteur n’avait alors plus d’importance et le processus de réalisation était aussi technique que depersonalisé. Les oeuvres étaient de série comme n’importe quel objet de consommation massive. Jean-Guy Lattraye, en revanche, parie sur la dimension atavique du travail, du fait-main (handmade) l’opposant frontalement à des recours determinés tels que le changement d’échelle, le choix des matériaux et la sempiternelle ironie. Sans s’éloigner d’un doigt de la technique de la sculpture, ses tailles de bois et de pierre nous obligent à nous questionner sur des concepts aussi étendus que manipulés comme les nouvelles technologies et les moyens de communication.

         Je ne veux pas terminer sans souligner la profondeur, la rigueur et la vérité avec lesquelles cet artiste aborde le quotidien de son microcosme domestique, sans jamais perdre de vue son compromis éthique devenu sculpture. Des oeuvres d’art qui sont emplies de sagesse technique et de pulsion vitale. Paraphrasant “art et technique” de Walter Gropius (premier directeur de la Bauhaus) : Art et vie, une nouvelle unité.

 

 

Juan Bautista Peiro - texte traduit de l'espagnol

Journaliste, critique d’art, chef du département peinture des beaux-arts de Valencia et vice-recteur de l’université polytechnique de Valencia.

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