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ARGUMENTAIRE DU MUSÉE

Note d’opportunité scientifique détaillant l’intérêt intrinsèque du bien et son intérêt par rapport aux collections du musée et au projet scientifique et culturel

Formé à la Villa Arson et à l’école des Beaux-arts à Valencia (Espagne), le sculpteur Jean-Guy

Lattraye explore les paradoxes ; il utilise des supports pérennes pour représenter des objets dont

on attend la décomposition, des pierres dures pour représenter des structures molles, des

matériaux lourds pour figurer des matières éthérées… Son art est joueur, mais le jeu est grave :

comme dans les trompe-l’œil de la peinture classique, l’artiste capte l’attention du public par un

excès de réel, et l’amène à s’interroger sur la pérennité des choses. Memento mori.

Les sujets de Jean-Guy Lattraye sont puisés dans le quotidien le plus prosaïque, qu’il observe avec

patience et amour. L’hyperréalisme de ses œuvres évoque le geste pop par excellence, celui

d’Andy Warhol qui transforme des boîtes de soupe ou de lessive en icônes du monde moderne. Et

pourtant, la « transfiguration du banal » (1) n’opère pas chez Lattraye comme dans le pop art,

puisqu’il n’y a là nulle fétichisation de la marchandise, nulle célébration de la consommation. Si

Jean-Guy Lattraye s’intéresse à nos déchets, c’est plutôt pour leur rendre une existence digne, et

nous les faire regarder en face. Qu’ils sont beaux et délicats ! Comment détacher les yeux de ces

sacs poubelles et de ces sachets en papier kraft transformés en morceaux d’éternité par la

meuleuse et le ciseau ?

Avec minutie, l’artiste s’attache à rendre les matières industrielles, dont nous ne voyons plus la

grâce, et que nous avons même appris à détester. Le plastique n’est-il pas un miracle de la

science ? Sa mollesse et sa translucidité sont transposées dans le marbre par les mains expertes du

sculpteur. Le papier kraft n’est-il pas un adjuvant d’une versatilité inouïe ? Le modeste sac

d’emballage, omniprésent dans l’imaginaire hollywoodien que nous partageons tous en Occident,

devient un monument au dérisoire par sa transformation en pièce de calcaire poli. Les contours et

textures de ces objets jetables qui sont, malgré nous, au cœur de nos vies, deviennent des lignes

admirables et imperturbables. C’est bien la « beauté froide qui interrompt le temps » que l’artiste

recherche, et qu’il fige par un geste patient et opiniâtre.

Son Doggy bag incarne toutes ces contradictions : au premier regard, l’œil perçoit un volume

abstrait, voire une sculpture minimaliste, dont le poli magistral de surface attire l’attention sur la

matière plutôt que sur le sujet représenté ; et pourtant, lorsqu’on découvre le titre de la pièce,

que l’on pourrait traduire par «sachet de restes (pour le chien) », l’ironie de l’ensemble nous saute

au visage. Jean-Guy Lattraye est un sculpteur punk, qui provoque et secoue, et qui veut que nous

cessions de faire semblant – non, ces restes ne seront pas pour le chien, et non, nous ne survivrons

pas à nos rebuts, encore moins à nos artefacts culturels. Ce doggy bag géant nous nanifie, et nous

invite, dans un grand éclat de rire, à reconsidérer notre place d’humains dans la chaîne écologique.

Depuis plusieurs années le Musée des Beaux-arts de Nancy cultive l’ouverture de ses collections à

l’art contemporain, on procédant notamment à des acquisitions auprès d’artistes engagé.e.s dans

la scène artistique locale et nationale. L’achat de cette sculpture permettrait d’affirmer

l’implication du musée en faveur de l’art actuel, et de poursuivre la réflexion sur la place de la

sculpture dans l’espace public.

Note détaillant l’intérêt du bien au regard des collections à l’échelle régionale et/ou nationale

Les œuvres de Jean-Guy Lattraye ont intégré une collection publique (collection d’art

contemporain de l’université polytechnique de Valencia) et une prestigieuse collection particulière

d’art contemporain (collection Galila Barzilai Hollander, montrée Museum Holon de Tel Aviv

en 2022), mais ne figurent pas encore dans les collections publiques françaises. L’achat de cette

sculpture permettrait de mettre en valeur le travail d’un artiste important dans la région mais qui

y est trop peu visible ; l’œuvre rejoindra la collection de sculptures qui commence à se dessiner et

à être visible dans le jardin du musée (œuvres de Yoshi Okuda, reçues en don en 2023 ; projets de

dépôt Ipoustéguy ; projet d’acquisition Aleteïa, à la faveur de l’exposition monographique).

Susana Gallego Cuesta, directrice du musée des Beaux-Arts de Nancy.

 

 

 (1) Arthur Danto, La transfiguration du banal. Une philosophie de l’art, Paris, Seuil, 1989

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